Mr François Soudan,
Permettez-nous, en tant que Rwandais épris de paix et de justice d’émettre quelques commentaires sur votre article portant sur le Rapport que le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) s’apprête à publier le 1er octobre 2010.
Vous commencez votre article en disant que l’emploi du mot génocide dans ledit rapport est sujet à caution. Vous n’apportez malheureusement pas la moindre preuve pour démontrer que les massacres systématiques, méthodiques, ayant visé les réfugiés hutus rwandais en ex-Zaïre, par le seul fait qu’ils appartenaient à ce groupe ethnique de Hutu, ne puissent être qualifiés de génocide ou d’actes de génocide.
En effet, Mr Soudan, les réfugiés hutus massacrés en ex-Zaïre par centaines de milliers n’ont pas été tués par des balles perdues, ce ne sont pas des dommages collatéraux d’une guerre qui ne visait qu’à renverser feu le Président Mobutu. Ces réfugiés ont par contre, fait l’objet d’extermination programmée, traqués comme du gibier à travers toute la forêt équatoriale poursuivis sur plus de 2.500 km depuis Uvira, Bukavu et Goma jusqu’à Mbandaka en passant par Tingi-Tingi, Kisangani, et d’autres localités citées dans ce rapport et bien d’autres. Beaucoup de rapports existent à ce sujet, rapports longtemps étouffés pour des raisons d’intérêts géopolitiques et géostratégiques, comme celui du Chilien Roberto Garreton et que corrobore aujourd’hui ce rapport du HCDH portant sur les violations des droits humains commis en République démocratique du Congo de 1993 à 2003. Il est donc étonnant qu’un journaliste de votre calibre tente de minimiser ce crime au lieu d’œuvrer à sa reconnaissance, condition sine qua non d’une véritable éradication de l’impunité et d’une véritable réconciliation entre toutes les couches de la société rwandaise et au-delà pour montrer à l’humanité entière qu’aucun crime ne peut et ne doit rester impuni.
Vous avancez l’idée suivante : « En évoquant la possibilité d’une deuxième tragédie équivalente à la première, qui serait en quelque sorte la réplique de l’extermination planifiée des Tutsis du Rwanda, les auteurs du rapport confortent de facto la thèse négationniste des idéologues du Hutu Power selon lesquels il n’y a pas eu génocide, mais massacres spontanés et contre-massacres. Or cette interprétation est une falsification ». Ici, l’on est en droit de constater que vous vous lancez dans une théorie aveugle, avancée depuis bientôt 16 ans par les autorités rwandaises, théorie selon laquelle l’on ne peut évoquer les victimes hutus du conflit rwandais sans être négationniste ou révisionniste, théorie qui en réalité, sert non seulement à camoufler les forfaits commis par certains des responsables politiques et militaires actuels mais aussi à museler toute voix discordante qui ose montrer la vraie nature criminelle de ceux qui se sont présentés jusqu’aujourd’hui comme des libérateurs ayant arrêté le génocide. Et là où votre théorie bat en absurdité toutes celles qui l’ont précédée, c’est qu’il s’agit dans le cas qui nous occupe des massacres survenues entre 1996 et 1997, soit 2 à 3 ans après le génocide rwandais de 1994. D’où votre théorie est anachronique, puisque des massacres survenus chronologiquement après ceux de 1994, ne peuvent en aucun cas servir de justification à ceux qui leur sont antérieurs, en tout cas pas en ce qui concerne les Hutus impliqués dans le génocide contre les Tutsis. Tout au plus s’il y avait une logique dans cette histoire, elle voudrait que ce soit les présumés coupables des crimes commis au Congo qui évoquent la tragédie de 1994 pour expliquer celle de 1996-97 et pour nier l’existence du génocide. Dans cette logique c’est donc plutôt le régime actuel accusé d’avoir commis des actes de génocide sur les réfugiés hutus qui devrait nier le génocide de 1994, pour s’exonérer de celui de 1996-97. Or, vous savez qu’il n’en est rien et ce n’est pas ce que vous tentez d’expliquer. Votre logique est donc à l’envers lorsque vous avancez qu’on ne peut qualifier les événements de 1996-97 de génocide sans porter atteinte à la reconnaissance du génocide de 1994. Par contre, je comprends bien votre embarras et celui des gens auxquels vous tentez de venir au secours, car, il s’agit d’un fait singulier où ceux qui se sont présentés comme les victimes d’hier deviennent à leur tour des bourreaux.
Un autre point étonnant de votre défense est celui qui consiste à dire que puisque l’exode des Rwandais vers l’ex-Zaïre aurait été encouragé voire encadré, que cela pourrait en quelque sorte justifier la mise à mort de ces centaines de milliers de personnes. Cela a au moins le mérite de reconnaitre implicitement que ces personnes ont été massacrées, quitte à ce que vous cherchiez des circonstances atténuantes aux présumés responsables ce forfait. Nous autres Rwandais, savons les véritables raisons qui ont poussé des millions de Rwandais à fuir en masse vers l’ex-Zaïre, la Tanzanie ou le Burundi. Cette envie de fuir coûte que coûte l’arrivée de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) s’explique par les massacres à grande échelle commis par les éléments de l’APR partout où ils passaient sur leur route de la conquête du pouvoir. Les rescapés de ces massacres racontaient aux autres ce qu’ils avaient vu et vécu quand ils arrivaient dans des zones non encore conquises par l’APR et les gens choisissaient de fuir avant qu’ils ne subissent le même sort que celui qui leur était raconté. Qu’il y ait eu un appel des autorités à fuir dans certaines régions, c’est aussi un fait, de même que certaines autorités administratives ont tenté de maintenir un semblant d’organisation comme celle des lieux de provenance avant l’exode. Mais croire que des millions de personnes ont fui parce que les autorités les y ont forcées, c’est si ce n’est de la mauvaise foi, du moins de l’ignorance.
Par ailleurs, lorsque vous évoquez les responsabilités des autres protagonistes comme le HCR ou d’autres Etats, vous voulez de nouveau excuser les présumés responsables de ces massacres en disant qu’en quelque sorte ce n’est pas de leur faute, puisque les autres n’ont rien fait. Vous imaginez-vous un présumé génocidaire au TPIR d’Arusha entrain de plaider sa cause en disant « ce n’est pas de ma faute c’est celle des Belges qui ont retiré leur contingent de la MINUAR » ! Ici, je crois que le sadisme atteint son paroxysme. S’il y a d’autres responsabilités que celle de l’APR, elles ne diminuent en rien celle-ci, puisqu’il n’existe aucune norme internationale qui justifie le massacre des vieillards, des femmes, des enfants,…sous prétexte qu’ils sont ou étaient dans les mêmes camps que les militaires ou les miliciens. En outre, il est documenté que même lorsque des vieillards, des femmes et des enfants ont été regroupés à part, ils furent massacrés, sous le seul critère qu’ils étaient des réfugiés hutus.
S’il y a une responsabilité des organismes comme le HCR, ce n’est pas celle que vous pointez du doigt, mais celle d’avoir refusé d’assister les militaires et leurs dépendants dans des camps différents de ceux des autres civils, ce qui a obligé ces premiers à rejoindre les camps des autres civils pour leur survie. Or, un militaire vaincu et qui dépose les armes, mérite autant l’assistance internationale aussi longtemps qu’aucune juridiction indépendante de celle de son vainqueur ne l’a jugé et condamné. Et d’ailleurs si condamnation il y a, la peine doit être purgée dans les règles, la peine de mort elle-même suivant une certaine procédure dans les pays où elle est toujours d’application.
Rien ne peut donc justifier la mise à mort des centaines de milliers de personnes, sans aucun autre forme de procès, et la responsabilité des autres ne peut atténuer celle de l’APR qui a pratiqué la chasse à l’homme sous couvert d’une guerre de renversement de Mobutu. Chaque génocide est singulier de sa nature. Le génocide des tutsi en 1994 n’enlève en rien la réalité du génocide des réfugiés hutu deux ans plus tard, comme ce dernier n’enlève en rien à la réalité du génocide des tutsi. Ces faits sont graves et leur qualification doit être la plus rigoureuse qui soit pour rendre justice aux victimes et pour mettre fin à l’impunité une fois pout toutes. Toutes les questions que vous soulevez quant au nombre exact des victimes ou quant aux noms des commandants responsables des massacres pourraient trouver des réponses si un tribunal ad hoc était constitué avec des moyens conséquents, ce rapport du HCDH n’étant qu’une étape dans le recherche de la vérité, de toute la vérité, celle qu’on tente de nous cacher depuis plus d’une décennie, mais qui continue de réclamer d’être clamée haut et fort.
Fait à Paris, le 16 septembre 2010
Pour le Comité de Soutien aux FDU-Inkingi
Dr Emmanuel Mwiseneza, Conseiller à l’Information et à la Communication
No comments:
Post a Comment