Gaspard Musabyimana
Armée FPR armée rwandaise Emmanuel Neretse FAR Léon De Paeuw RDF
A l’occasion du 49è anniversaire de l’indépendance du Rwanda, Léon De Paeuw et Emmanuel Neretse ont tenu ce vendredi 01 juillet 2011 une conférence sur le thème : « De la garde Nationale (GN) à la défaite des Forces Armées rwandaise (FAR) : 1960-1994 ».
Léon De Paeuw, qui fut le tout premier Commandant de l’Ecole d’Officiers de Kigali de 1960 à 1963, a parlé du contexte dans lequel la Garde Nationale fut créée et spécialement du recrutement et de la formation des premiers officiers rwandais. Emmanuel Neretse a, quant à lui, en tant qu’ancien officier des FAR, passé en revue l’action de la Garde Nationale dans la consolidation des acquis de la révolution de 1959, les événements qui ont précédé et qui ont suivi le coup d’Etat de 1973 jusqu’au début de la guerre déclenchée par les éléments rwandais de l’armée régulière ougandaise en octobre 1990. Cette guerre, qui a duré presque quatre ans, se soldera par la défaite des FAR et la reconquête militaire du pays par les descendants des réfugiés de 1959 qui entre temps s’étaient engagés dans l’armée régulière ougandaise.
Cette armée de conquête a mené les opérations sous l’appellation de « Armée Patriotique Rwandaise : APR ». Après la prise de Kigali en juillet 1994 et la défaite totale des FAR, elle devint de facto l’armée nationale du Rwanda. Quelques années plus tard, après la consolidation du pouvoir politique émanant de lui, ce corps expéditionnaire se donnera le nom de « Rwanda Defense Forces : RDF ».
Les débats au cours de la conférence ont mis en exergue deux interrogations qui restent récurrentes dans bon nombre de discussions sur ce thème. D’abord, il s’agit d’expliquer le pourquoi du déséquilibre régional en faveur du Nord qui a été observé dès les premiers recrutements au sein de la Garde Nationale et qui se serait maintenu au sein des FAR jusqu’à leur défaite, tout comme l’accusation d’avoir été une armée « mono ethnique hutu ». Ensuite, comment expliquer que les FAR, qui avaient toujours eu la confiance et l’admiration du peuple, furent subitement vaincues par une armée d’invasion venue d’Ouganda ? Quelles furent les raisons de cette défaite ?
En ce qui concerne le déséquilibre régional dans le recrutements des premiers éléments, Léon De Paeuw a bien expliqué qu’il a eu toute les peines du monde pour avoir 7 candidats officiers qui remplissaient les conditions pour entrer à l’Ecole d’Officiers. A la première annonce, trois se sont présentés spontanément. Il a dû aller dans une école à Nyanza où il a eu deux candidats et à Astrida où il a déniché deux autres. Le hasard a fait que sur les 7 candidats officiers, 5 étaient originaires du Nord (Ruhengeri, Gisenyi) et deux de Kigali dont un Tutsi. La deuxième promotion fut recrutée plus facilement grâce à la rencontre que le Commandant De Paeuw avait faite avec un religieux, l’abbé Naveau. Celui-ci organisait, pendant les grandes vacances, des congrès des étudiants du supérieur et des finalistes du secondaire. Il profita donc du congrès qui se tenait à Nemba (Ruhengeri) pour aller recruter et 10 candidats se présentèrent pour la 2° promotion en 1961. La 3° promotion fut recrutée dans les mêmes circonstances en 1962. Cette fois-ci, ce furent 13 jeunes qui acceptèrent d’embrasser la carrière des armes.
En complément, le colonel Laurent Serubuga, ancien chef d’Etat-major de l’Armée et lui même recruté dans la deuxième promotion, souligna que l’effet d’entraînement peut expliquer le fait que les jeunes originaires du nord ont été plus intéressés à la carrière d’officiers mais qu’il n’y avait aucune volonté politique.
Contrairement aux idées reçues, il n’y avait aucune directive qui interdisait le recrutement des Tutsi dans l’armée et d’ailleurs ils y étaient en nombre. Ici, il y a lieu de citer les statistiques établies par l’ancien ministre de la Défense James Gasana dans son livre « Du Partri Etat à l’Etat Garnison, Paris, l’Harmattan, 2002″. On y lit à la page 33 : « …les FAR comptaient parmi elles plusieurs officiers tutsi :1 colonel, 2 lieutenant- colonels, 7 majors dont 2 gendarmes et un pilote, 1 commandant, 6 capitaines dont 2 gendarmes, plus ou moins 20 lieutenants et sous-lieutenants ».
Pour expliquer les raisons possibles de la défaite des FAR, Emmanuel Neretse revint sur ce qu’il avait écrit dans son livre « Grandeur et décadence des Forces Armées Rwandaise » (Ed. Sources du Nil, Lille, 2010). Il a d’abord fait remarquer que la guerre englobe plusieurs secteurs de la vie nationale et qu’il ne faut pas seulement se focaliser sur les opérations militaires. Pour gagner la guerre, les domaines comme la diplomatie, l’économie, la politique, les médias, etc. doivent y contribuer énormément. La défaite (ou la victoire) est donc la résultante de tous ces vecteurs qui ont un rôle à jouer.
En ce qui concerne les FAR, il a estimé que celles-ci n’étaient pas préparées pour mener une guerre moderne contre une puissance comme l’Ouganda et ne s’étaient donc pas développées et équipées en conséquence. De plus, quelques erreurs dans le management du personnel se révéleront des tendons d’Achille des FAR. Enfin, sur le plan de la motivation et de la morale, une armée classique créée le plus régulièrement du monde par les autorités politiques d’un pays est toujours plus vulnérable à la démoralisation et à la démotivation qu’une armée issue d’une guérilla. En effet, dans le premier cas, l’armée est constituée et est mise à la disposition du pouvoir politique qui doit lui donner des missions souvent adaptables selon les situations. Dans le cas de l’armée d’une guérilla, il y a d’abord une cause, et un objectif politique à atteindre et ceux qui en décident en donnent les moyes pour l’atteindre dont un outil militaire : l’armée. Celui qui y entre est donc avant tout un militant d’une cause politique contrairement à un soldat d’une armée classique qui est un citoyen ordinaire à la disposition des instances politiques pour des tâches particulières.
Il est tentant de faire un parallélisme entre les FAR et leurs tombeurs, les RDF.
Les FAR ont été accusées, en leur temps, d’être « mono ethnique » car elles n’étaient constituées que de Hutu. Ceci n’est pas tout à fait vrai puisque la proportion des Tutsi au sein des FAR dépassait de loin celle généralement observée dans les autres secteurs d’activités (Fonction Publique, enseignement, secteur privé, …) à savoir plus de 30%. Au contraire, les RDF sont par essence « monoethniques » même si cela peut s’expliquer par l’histoire. En effet, les éléments rwandais de l’armée régulière de l’Ouganda qui ont envahi le Rwanda en 1990 étaient presque tous tutsi. Ceci explique pourquoi sur la centaine de généraux, on ne compte que 2 ou 3 hutu eux aussi récupérés à grande peine chez les ex-FAR. Chez les hommes de troupes aussi, les RDF rechignent à incorporer des Hutu pour ne pas »se faire doubler ». Conséquence : une armée dont le commandement est exclusivement tutsi, une troupe à 80% tutsi. On ne peut pas trouver d’équivalent en matière de déséquilibre ethnique dans le monde.
Une autre accusation « phare » contre les FAR est qu’elles étaient dominées par les gens du Nord, notamment de Gisenyi et Ruhengeri. C’est un slogan politique et un cliché qui a la vie dure comme tous les clichés. Certes les premiers officiers étaient en majorité originaire du nord comme on l’a vu, mais la tendance avait était inversée dès le début des années 80. Chez les RDF, la notion de région se traduit par les pays d’où sont venus les anciens réfugiés tutsi. Ainsi cinq principales régions sont considérées : l’Ouganda, la Tanzanie et le Kenya, le Burundi, la RDC et enfin ceux qui étaient au Rwanda avant 1990. C’est dans cet ordre que ces régions sont cotées en importance. Ainsi, un officier venu d’Ouganda sera toujours plus important que celui venu du Burundi tandis que celui-ci sera quand même plus grand que celui qui n’a vécu qu’au Rwanda avant de regagner le maquis. Sur ce point, les RDF sont nettement minées par le régionalisme que les FAR.
Cette conférence aura permis de tordre le coup aux allégations selon lesquelles le recrutement des premiers officiers rwandais s’est fait sur base régionale, ce qui aurait jeté les bases de l’une des plaies qui continue de gangrener la société rwandaise. Ceux qui se sont déplacés pour écouter Léon De Paeuw et Emmanuel Neretse n’ont pas perdu leur temps : ils sont rentrés ravis.
Gaspard Musabyimana
Echos d’Afrique
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