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Thursday, September 30, 2010

Congo-Rwanda : l'autre génocide impuni

Source:Le Monde
par Vincent Courcelle-Labrousse, avocat au Barreau de Paris
L'horreur du génocide des Tutsis du Rwanda par les Hutus en 1994 continue de neutraliser tout inventaire supplémentaire de l'apocalypse qui a frappé l'Afrique des Grands Lacs à l'orée du XXIe siècle. A tel point que l'élimination en 1996-1997, cette fois-ci, de centaines de milliers d'Hutus par l'armée tutsie du général Kagamé reste un crime politiquement incorrect qu'il demeure délicat d'évoquer, sous peine de se voir taxer 
Si accablant que puisse être le pré-rapport de l'ONU sur les crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) de 1993 à 2003, divulgué par Le Monde, il pourrait faire naître de faux espoirs à ceux qui désespèrent que la tragédie absolue qui a causé la mort de centaines de milliers de personnes dans l'Est du Congo reste à jamais sans sépulture judiciaire. Car le chemin qui reste à parcourir pour conduire les responsables devant un tribunal sera long. Et il est bien possible qu'ils bénéficient encore une fois d'un classement sans suite.
Juillet 1995, Srebrenica, Bosnie : 6 000 à 8 000 morts. Certains des auteurs ont été condamnés. Milosevic a fini ses jours en prison. Karadzic se fait juger. Comment est-il possible, par comparaison, qu'il ait fallu autant d'années avant que ne commence seulement à être esquissée la nécessité de punir des crimes qui sont au minimum contre l'humanité – des milliers de morts – pour ne pas parler de génocide, puisque cela froisse Paul Kagamé ? Le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 a rendu depuis lors le vainqueur, encore au pouvoir à Kigali seize ans après, totalement intouchable.
Regardons le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Alors que sa mission était également de juger les crimes de masse perpétrés par l'Armée patriotique rwandaise (APR) du général Kagamé, pas un seul accusé n'a été présenté devant une chambre. Le Rwanda a pratiqué le chantage, bloqué le fonctionnement du tribunal pour que finalement après le départ de Carla Del Ponte, le nouveau procureur du TPIR abandonne définitivement toutes velléités de faire juger quiconque du pouvoir rwandais actuel. Aurait-on osé devant l'histoire, s'agissant de l'ex-Yougoslavie, ne poursuivre que des criminels Serbes sans s'intéresser à ce qu'avaient fait les Croates ou les Bosniaques ? Il semble, en effet, que les critères soient différents lorsqu'on touche à l'Afrique et en particulier au Rwanda.
L'élimination organisée et volontaire d'au moins 200 000 Rwandais en 1996-1997 par l'APR est connue et documentée depuis des années. La communauté internationale avait assisté presque en direct à la disparition dans les forêts congolaises des refugiés rwandais. Emma Bonino, Commissaire européen aux droits de l'homme, avait interpellé le Conseil de sécurité sur le danger mortel que courraient des centaines de milliers de personnes. Un projet d'une force internationale était alors évoqué et bientôt sabordé par les soutiens de Kigali qui, de son côté, fermait la zone aux ONG et aux journalistes.
Et une fois de plus, malgré le caractère immense et notoire des massacres, on a tourné la tête, voir nié. Mieux, en ne poursuivant ni les crimes de l'APR en 1994 au Rwanda, ni ceux de 1996-1997, c'est un véritable permis de tuer que l'on a octroyé au pouvoir rwandais. Et depuis lors, son dossier criminel s'est nourri du pillage, avec d'autres, des ressources minières du Kivu et de l'Ituri, de l'entretien de la guerre et de ses chefs comme Laurent Nkunda. Avec pour constante, le martyr des populations vulnérables, dans ces forêts congolaises que certains rescapés surnomment la zone du diable.
DEUX POIDS, DEUX MESURES ?
Voilà seize ans que cela dure. Paul Kagamé vient de faire renouveler à 94 % son mandat de dictateur. Le pouvoir rwandais a réglé à l'intérieur le problème du questionnement de sa responsabilité dans les événements de 1994 qu'il appelle du négationnisme. Le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, lui, s'est satisfait d'un déni international de justice. Et le secrétaire général des Nations unies court à Kigali parce qu'on craint que le Rwanda ne retire ses troupes du Darfour : pensez donc, un projet de rapport onusien utilise une qualification – génocide – inapproprié… Et ce n'est pas le moindre des paradoxes non plus que le ministre de la défense rwandais, James Kabarebe, fasse l'objet d'un mandat d'arrêt de la justice espagnole, précisément pour les événements du Congo.
Il faut terriblement ignorer le Rwanda pour penser que l'impunité laissée au vainqueur de 1994 sur les crimes commis contre sa propre population pourra contribuer à solder les comptes de l'horreur. Les braises de la haine ne s'éteindront jamais tant que les crimes de l'APR ne seront pas jugés. L'injustice faite aux victimes Hutus du Congo vient nourrir les excuses que se donnent déjà les anciens tueurs de Tutsis au Rwanda. Loin des trottoirs de Kigali, refaits à neuf avec l'argent des bailleurs de fonds, la rancœur fermente dans les collines.
Alors, maintenant qu'un peu de lumière est à nouveau jetée sur le charnier congolais, la diplomatie de couloir va-t-elle encore une fois réussir à escamoter les responsables ? C'est bien probable. C'est une fosse commune judiciaire que l'on prépare pour enterrer définitivement de véritables excommuniés du droit international. Les faits n'entrent dans la compétence d'aucune des juridictions internationales existantes et l'on ne peut compter sur les dirigeants impliqués pour se mettre en accusation. Si un tribunal spécial pour le Congo n'est pas créé, les assassins ne seront ni poursuivis, ni jugés.
Après l'attentat ayant coûté la vie au Liban à Rafic Hariri, l'émotion de la communauté internationale et l'action des diplomates avaient poussé les Nations unies à instituer un tribunal spécial pour juger de l'assassinat d'un seul homme. L'élimination de certains groupes entiers d'êtres humains a-t-il moins d'importance ? L'ONU fait-elle deux poids, deux mesures ? Il est encore temps pour le Conseil de sécurité et le Secrétaire général des Nations unies de nous prouver le contraire.
Vincent Courcelle-Labrousse, avocat au Barreau de Paris

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